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L’Appropriation de l’œuvre — vers la soutenance

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Pour fêter, avec la sombre austérité qui convient, la dernière ligne droite de ma thèse, qui devrait être soutenue en octobre prochain, je vais essayer de proposer dans les mois à venir quelques billets où évoquer certains aspects de mes recherches. Comme je l’avais expliqué en fondant ce carnet, il y a plusieurs années, je voulais éviter que le travail de thèse y tienne la plus grande part, pour ne pas réduire mon activité de chercheur à sa seule dimension doctorale. Au bout du compte, je n’ai publié qu’une poignée de billets qui aient un rapport étroit avec ma thèse, à savoir, par ordre chronologique :

Avant toute chose, il m’est sans doute nécessaire d’expliquer sur quoi porte cette thèse et comment s’y articule la démonstration, parce que je me rends parfois compte que des amis et des chercheurs avec qui j’échange depuis longtemps n’ont en fait aucune idée de ce que je peux bien fabriquer de mon temps, quand je ne me livre pas à de honteuses apologies de la décadence sexuelle et morale ou de l’abêtissement télévisuel. Ma thèse, qui s’intitule « L’Appropriation de l’œuvre », étudie l’attribution des œuvres à leur auteur, principalement en France et/ou en français, entre les années 1640 et les années 1777. Elle ne s’interdit pas de remonter parfois à certains textes du XVIe siècle et pousse, sur certains sujets, jusqu’en 1830 à peu près, où se publient par exemple les derniers recueils d’ana. « En France et/ou en français », ça veut dire qu’il y est question des œuvres qui sont publiées en France dans une autre langue que le français (surtout le latin, donc) et en français ailleurs qu’en France, ce qui invite inévitablement à parler aussi, ponctuellement, de textes ni en français, ni en France.

Méthodiquement, j’y suis proche de la (nouvelle) histoire littéraire, c’est-à-dire d’une histoire littéraire très nourrie par l’histoire du droit, l’histoire du livre, la bibliographie matérielle et la sociologie de la littérature et qui peut paraître parfois éloignée des études littéraires dans ce qu’elles impliquent d’évaluation esthétique et de critique interprétative. Le propos historique est cadré, en introduction et en conclusion, soit une petite cinquantaine de pages, par une discussion théorique consacrée à l’auctorialité, en philosophie et en théorie littéraire, d’une part, et d’autre part à l’histoire de l’État du point de vue de l’histoire économique.

Le propos est sinon organisé en trois parties : la première sur les questions de propriété et de responsabilité du livre, du point de vue de l’État et du droit, la deuxième sur les classements des textes par les outils bibliographiques et la troisième sur les appropriations intellectuelles et éditoriales des œuvres par les auteurs en eux-mêmes. Il y est question à la fois d’auteurs très connus, comme Rousseau, Diderot ou Voltaire, et de personnes plus obscures, de sources très travaillées, comme le Dictionnaire historique et critique, et d’autres moins familières, comme le Journal de Varsovie, une publication périodique polonaise, en langue française, du XVIIIe siècle.

Dans la première partie, je reviens sur la pratique française des privilèges de librairie, qui encadrent à la fois la propriété privée des textes, qui est une conséquence des rapports de force entre des imprimeurs, des libraires, des auteurs et différentes institutions étatiques, et la responsabilité juridique des producteurs de ces textes, qu’il s’agisse des producteurs matériels (libraires et imprimeurs) ou intellectuels (auteurs). J’étudie plus en détail la responsabilité juridique de l’auteur du point de vue de la censure et de ses différentes formes, notamment à travers les affaires de l’Histoire amoureuse des Gaules, de l’Esprit d’Helvétius et de l’Émile de Rousseau. Enfin, je propose, une fois ce cadre posé, une typologie rapide des acteurs du livre à l’époque moderne.

La deuxième partie étudie une autre manière de rapporter les textes à leurs auteurs, qui implique d’autres usages de ces textes : l’attribution par les bibliographes. Elle étudie des séquences bibliographiques et plus précisément des séquences attributives, qui peuvent être plus ou moins étendues (quelques mots, plusieurs pages) et que l’on trouve notamment dans trois types de sources : les dictionnaires historiques et biographiques, les recueils d’ana et les recensions de livres et de spectacles dans la presse périodique. J’y aborde principalement le Dictionnaire historique et critique et ses modèles, l’ensemble des recueils d’ana en anglais, en français et en latin de la période, le Journal des sçavans, le Mercure Galant et une grande partie des périodiques en langue française publiés à l’étranger.

La troisième partie s’attache à l’exploration du rapport interprétatif et culturel des auteurs à leurs œuvres et aux œuvres des autres. J’y étudie un certain nombre de cas particuliers. Dans le premier chapitre, je reviens sur Charles Sorel, sa présentation des oppositions Charron-Montaigne et Voiture-Balzac, sa position intermédiaire d’auteur et de bibliographe, ses exercices d’auto-attribution et sa querelle avec Furetière, ainsi que le rôle qu’y joue la référence à Cyrano de Bergerac. Dans le deuxième chapitre, je me penche sur le cas de Vincent Voiture, sur les opérations éditoriales complexes dont il fait l’objet et sur son appropriation par Pierre Costar. Dans le troisième chapitre, je me consacre aux œuvres complètes de grands auteurs dirigées par d’autres auteurs et en particulier au Corneille de Voltaire, au Rousseau de Mercier et au Voltaire de Beaumarchais.

Ce travail présente quelques caractéristiques méthodiques propres et notamment une attention particulière à l’interprétation détaillée des paratextes (préfaces, privilèges, notices), en laissant parfois de côté les œuvres elles-mêmes, un choix systématique de privilégier les études de cas développées aux approches systématiques et notamment quantitatives, que l’on peut déjà trouver ailleurs, et une mise en avant des travaux internationaux susceptibles d’offrir des points de comparaison, en adoptant à chaque fois que c’était possible une bibliographie critique plurilingue qui ne se réduise pas seulement à la triade traditionnelle du français, de l’anglais et de l’allemand.

J’aurais l’occasion de présenter plus en détail dans les semaines à venir tel ou tel point de ce travail et j’invite mes (éventuels) lecteurs à me faire part de ceux qui retiennent en particulier leur attention.


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