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Commentaire d’un privilège de librairie de 1776

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Je suis en ce moment plongé dans la rédaction de la première partie de ma thèse, consacré aux dispositifs légaux qui encadrent la production du livre dans la France de l’Ancien Régime, en particulier entre les années 1640 et la fin du XVIIIe siècle. Ce qui m’intéresse très précisément, ce sont les effets de ces dispositions légales et du commerce de librairie dont elles participent sur l’attribution des œuvres à leurs auteurs. L’un des types de textes que je suis amené, dans de pareilles recherches, à croiser très souvent, c’est celui des privilèges royaux, parfois délivrés à des imprimeurs, des libraires, des auteurs ou des institutions, pour leur permettre l’impression d’un ouvrage.

Le privilège est un instrument juridique central dans l’Ancien Régime : il n’est pas seulement délivré par les instances royales et il ne concerne pas seulement, loin de là, les affaires de librairie. Le privilège de librairie est un outil juridique qui dérive ainsi d’une pratique beaucoup plus ancienne et beaucoup plus large. Il est initialement une sous-catégorie des privilèges techniques accordés à des artisans afin de leur permettre de rentabiliser un investissement particulier dans une machine ou un procédé, dont il se distingue cependant durant la première moitié du XVIIe siècle. Les lecteurs les plus curieux et les plus courageux peuvent se reporter à l’ouvrage qui devrait désormais constituer la référence sur la question, Privilege and Property, heureusement en libre accès grâce à OpenEdition Books. Je me contente pour ma part de décrire ici à très grands traits le fonctionnement du privilège de librairie particulier pour le XVIIIe siècle, plus précisément après la promulgation du code de la Librairie de 1725, qui règlent les dispositions fondamentales de celui-ci, entre autres objets.

Par défaut, la librairie d’Ancien Régime fonctionne sur le principe de la liberté publique d’imprimer, qui ressemble beaucoup à ce que nous appelons notre domaine public, mais qui n’a en fait, malgré ce qu’ont pu avancer certains historiens, pas grand rapport. Le principe de la liberté publique d’imprimer est que le monarque consent à ce qui n’importe quel imprimeur imprime n’importe quel texte dans son royaume. Cette liberté de principe est ensuite restreinte pour tout un ensemble de dispositions, qui interviennent dans un second temps, et qui tiennent soit au contrôle des contenus, soit au contrôle des objets. La censure s’occupe des contenus, en empêchant la diffusion des idées subversives (c’est en réalité un peu plus compliqué que cela, mais passons). Le privilège s’occupe des objets, en permettant à telle ou telle personne d’exploiter exclusivement tel ou tel texte pour une durée théoriquement déterminée. En d’autres termes, le privilège exclut tel texte de la liberté publique d’imprimer.

Le fonctionnement pratique du système, même avant 1725, est assez différent de ces principes théoriques, pour de nombreuses raisons parfois assez complexes que je ne détaillerai pas ici — mais je me ferais un plaisir, bien entendu, de répondre aux questions éventuelles. À partir du début du XVIIIe siècle, privilège et censure sont couplés à l’intérieur des fonctions de la direction de la Librairie. Tout livre doit désormais subir une censure préalable pour pouvoir obtenir un privilège et, en théorie, tout livre doit obtenir un privilège pour être imprimé. En réalité, encore une fois, le système est beaucoup plus souple que cela : à côté du privilège, blanc-seing par excellence, existent bien des dispositifs législatifs plus ou moins officiels, comme la permission tacite, qui permettent à l’administration royale d’autoriser certains ouvrages sans avoir l’air de les approuver – sans parler de l’immense continent des impression parfaitement illégales et à peu près tolérées. Quoi qu’il en soit, dans le cas idéal, qui n’est donc pas le plus fréquent, où un livre reçoit un privilège royal, ce privilège est imprimé, en même temps que son enregistrement et l’approbation censoriale, dans le livre, avant ou après le texte lui-même.

C’est d’un semblable document dont je vous propose ici un commentaire. Dans les mesures où certaines éditions contemporaines, avides probablement de couleur locale, reproduisent les privilèges royaux sans y apporter aucune explication, il ne me parait pas inutile d’avoir une petite idée de ce dont il est question. J’ai choisi, parmi bien des candidats, le privilège de l’édition de 1776 des Anedcotes de la cour et du règne d’Édouard II, roi d’Angleterre, de Claudine Guérin de Tencin et Anne-Louise Élie de Beaumont.

Les documents dont il est question ici sont imprimés à la toute fin de l’ouvrage.

Texte de l’approbation, du privilège et de l’enregistrement

APPROBATION

J’ai lu, par ordre de Monseigneur le Garde des Sceaux, un Manuscrit ayant pour titre : Anecdotes de la Cour & du Règne d’Edouard II, Roi d’Angleterre : ce Roman historique m’a paru rempli de sentiment & de délicatesse ; je n’y ai rien trouvé qui ne doive en favoriser l’impression. A PAris ce 3 février 1776.
DE SANCY.

PRIVILEGE DU ROI

Louis, par la grace de Dieu, Roi de France & de Navarre : A Nos amés & féaux Conseillers, les Gens tenant nos Cours de Parlement, Maîtres des Requêtes ordinaires de notre Hôtel, Grand-Conseil, Prévôt de Paris, Baillifs et Sénéchaux, leurs Lientenans Civils, & autres nos Justiciers qu’il appartiendra : SALUT. Notre amé le Sieur PISSOT, Libraire, Nous a fait exposer qu’il désireroit faire imprimer & donner au Public un Ouvrage intitulé, Anecdotes de la Cour & du Règne d’Edouard II, Roi d’Angleterre, s’il nous plaisoit lui accorder nos Lettres de Permission pour ce nécessaires. À CES CAUSES, voulant favorablement traiter l’Exposant, Nous lui avons permis & permettons par ces Présentes de faire imprimer ledit Ouvrage autant de fois que bon lui semblera, & de le faire vendre & débiter par tout notre Royaume pendant le temps de trois années consécutives, à compter du jour de la date des Présentes. FAISONS défenses à tous Imprimeurs, Libraires, & autres personnes de quelque qualité & condition qu’elles soient, d’en introduire d’impression étrangere dans aucun lieu de notre obéissance : à la charge que ces Présentes seront enregistrées tout au long sur le Registre de la Communauté des Imprimeurs & Libraires de Paris, dans trois mois de la date d’icelles ; que l’impression dudit Ouvrage sera faite dans notre Royaume & non ailleurs, en bon papier & beaux caractères ; que l’Impétrant se conformera en tout aux Règlemens de la Librairie, & notamment à celui du 10 Avril mil sept cent vingt-cinq, à peine de déchéance de la présente Permission; qu’avant de l’exposer en vente, le Manuscrit, qui aura servi de Copie à l’impression dudit Ouvrage, sera remis dans le même état où l’Approbation y aura été donnée, ès mains de notre très-cher & féal Chevalier, Garde des Sceaux de France, le Sieur HUE DE MIROMESNIL ; qu’il en sera ensuite remis deux Exemplaires dans notre Bibliothèque publique, un dans celle de notre Château du Louvre, & un dans celle de notre très-cher & féal Chevalier, Chancelier de France le sieur DE MAUPEOU, & un dans celle dudit sieur DE MIROMESNIL, le tout à peine de nullité des Présentes. Du contenu desquelles vous mandons & enjoignons de faire jouir ledit Exposant & ses ayant causes, pleinement & paisiblement, sans souffrir qu’il leur soit fait aucun trouble ou empêchement. VOULONS qu’à la Copie des Présentes, qui sera imprimée tout au long, au commencement ou à la fin dudit Ouvrage, foi soit ajoutée comme à l’original. COMMANDONS au premier notre Huissier ou Sergent par ce requis, de faire pour l’exécution d’icelles, tous actes requis & nécessaires, sans demander autre permission, & nonobstant clameur de haro, chartre normande & Lettres à ce contraires ; CAR tel est notre plaisir. DONNÉ à Paris, le vingt-huitième jour du mois de Février, l’an de grace mil sept cent soixante seize, & de notre règne le deuxieme. Par le Roi en son Conseil.
Signé, LE BEGUE.

Registré sur le Registre XX. de la Chambre Royale & Syndicale des Libraires & Imprimeurs de Paris. N°. 564, fol. 102, conformément au Règlement de 1723. A Paris, ce premier Mars 1776.
Signé, LAMBERT, Adjoint.

Commentaire

Le document est divisé en trois segments textuels : l’approbation censoriale, le privilège royal et l’enregistrement syndical. Quoique ces trois segments soient distincts et témoignent de l’intervention de différentes instances du pouvoir royal, ils sont toujours imprimés collectivement et seule leur combinaison constitue, à proprement parler, le privilège de librairie au XVIIIe siècle.

L’approbation censoriale

Le texte de l’approbation censoriale constitue en théorie le segment le moins contraint, dans sa forme, par l’héritage juridique, parce qu’il est aussi le plus récent. Il a été imposé au fil des différentes versions du code de la Librairie dans les années 1720 et son principe est simple : il témoigne de la corrélation entre exercice préalable de la censure par l’administration royale et accord du privilège. Les censeurs sont désignés par le directeur de la Librairie, lui-même délégué de la chancellerie pour la police du livre. Ils ont chacun leur spécialité et la liste des censeurs royaux, avec leurs adresses, est publiée annuellement dans l’Almanach royal, en même temps que les listes des différents personnages officiels de la monarchie, aussi bien pour l’administration royale, que pour l’Église et les Parlements. Les censeurs sont recrutés en raison de leur statut au sein de leurs disciplines et, éventuellement, de leur appartenance à un corps institué, comme la faculté de théologie de Paris, c’est-à-dire la Sorbonne, les médecins du Roi ou encore l’Académie française.

Le censeur examine le manuscrit, y apporte éventuellement des corrections, des modifications qui peuvent aller du segment de phrase à des chapitres entiers puis, si le manuscrit peut être imprimé avec une pleine approbation, il formule ses recommandations au directeur de la Librairie, à l’intérieur d’un rapport qui détaille ses interventions dans le texte. Ce rapport est conservé secret, quoiqu’il puisse être communiqué, sous une forme retravaillée, à l’auteur du livre censuré. Seul le texte de l’approbation est porté à la connaissance du public. Cette approbation se compose de plusieurs parties, toujours les mêmes :

  1. le rappel de la délégation de pouvoir,
  2. l’identification du manuscrit par son titre,
  3. le commentaire personnel du censeur,
  4. la formulation négative de l’autorisation,
  5. le lieu et la date actant l’approbation,
  6. la signature.

Le rappel de la délégation de pouvoir. Le censeur tire son pouvoir du Garde des Sceaux. La plupart des textes juridiques d’Ancien Régime comporte un segment de rappel de la délégation de pouvoir : les parlements tirent leurs pouvoirs du roi, qui tire ses pouvoirs de la grâce de Dieu, par exemple, comme le rappelle le texte du privilège lui-même. Ces rappels sont caractéristiques d’un système juridique qui repose entièrement sur la capacité du pouvoir royal à communiquer son pouvoir à différentes parties de l’État.
L’identification du manuscrit par son titre. Cette partie peut être plus ou moins étendue, selon que le censeur recopie intégralement le titre du manuscrit proposé à la censure, en incluant dans sa copie toutes les mentions de contenu et de genre que les pages de titres peuvent porter, ou qu’il se contente de mentionner un titre courant. Son rôle est censément d’identifier très précisément le manuscrit sur lequel le privilège porte, pour éviter toute confusion ou tout abus, mais il arrive que l’approbation soit jointe à un livre dont le titre est différent de celui du manuscrit censuré, particulièrement dans le cas des rééditions.
Le commentaire personnel du censeur. Cette partie extrêmement courte est parfois entièrement omise. Dans le cas présent, elle joue un rôle essentiel : la qualification de « roman historique » et les qualités de « sentiment » et de « délicatesse » enferment étroitement le livre dans le domaine de la littérature néo-galante de salon et empêche toute interprétation politique que son titre pourrait par ailleurs suggérer. Or, les publications politiques sont, elles, étroitement surveillées et rigoureusement censurées.
La formulation négative de l’autorisation. Dans l’immense majorité des cas, le censeur exprime son approbation par défaut, en expliquant, c’est la formule rituelle, qu’il n’a rien trouver qui doive empêcher l’impression du livre. Cette tournure prudente permet d’empêcher que l’approbation soit, justement, comprise comme une approbation. Par ce biais, le pouvoir royal ne soutient en théorie aucune des thèses auxquelles il consent un privilège, il se contente de les supposer audibles.
Le lieu et la date actant de l’approbation. Cette date doit être très rapprochée de celle du privilège et de celle de l’enregistrement, pour ôter tout soupçon de fraude. Les trois dates portées par le document permettent en outre, dans certains cas, de contrôler les ajouts successifs aux textes, qui n’auraient pas été visés par le pouvoir royal.
La signature. Le censeur signe par son simple nom, le même, en théorie, que celui qui est présent dans la liste de l’Almanach royal, quoique l’orthographe puisse en varier, comme il est fréquent sous l’Ancien Régime. De cette manière, il porte la responsabilité juridique de l’ouvrage, même si elle n’est pas aussi considérable que celles de l’imprimeur, du libraire et de l’auteur. Un censeur peut être puni pour un ouvrage qu’il a approuvé et qui a causé scandale, comme le censeur Tercier l’a été pour l’approbation de lEsprit du philosophe Helvétius.

Le privilège royal

Le privilège royal est le texte le plus long. S’il évolue au fil des décennies et si les privilèges de la fin du XVIIIe siècle n’ont plus grand-chose à voir avec ceux du début du XVIe siècle, il demeure caractérisé par un haut degré de sédimentation formulaire, notable principalement à l’abondance des archaïsmes lexicaux et juridiques, caractéristiques du style de ce type de textes juridiques royaux, sous l’Ancien Régime. Certains passages, opaques même pour les contemporains, n’ont ainsi pas de fonction informative, mais servent à manifester la continuité juridique de la monarchie.

Le texte du privilège se compose également de plusieurs parties, dont je ne donne pas la liste, par souci de lisibilité — et dont le partage peut d’ailleurs être discuté. Je propose ici un commentaire linéaire.

La délégation et la communication générales des pouvoirs. [LOUIS, par la grace de Dieu… SALUT.] Comme le texte de l’approbation, mais avec beaucoup plus d’ampleur, le texte du privilège commence par le rappel de la délégation des pouvoirs et la communication de ceux-ci aux différentes autorités du système monarchique. Ce passage ne présente évidemment rien de remarquable et constitue un pur exemple de droit divin d’inspiration féodale : le roi tire ses pouvoirs de Dieu et le communique en suzerain à ses féaux. Le terme même de « féaux » est un archaïsme qui frôle l’ironie dans le contexte d’une monarchie absolue dont l’une des principales caractéristiques est de substituer un État moderne administratif aux relations de suzeraineté-vassalité de la féodalité. La liste des fonctions qui suit évoque différentes instances susceptibles de prendre des décisions en matière de librairie et communique donc les pouvoirs royaux à celles-ci, pour agir selon leurs juridictions, dans le cadre des volontés du roi. Cette disposition est encore précisée à la fin du privilège.

L’identification de l’exposant et de l’objet. [Notre amé le Sieur PISSOT… nos Lettres de Permission pour ce nécessaires.] La séquence suivante nomme la personne qui reçoit le privilège et qui peut être soit l’auteur lui-même (y compris lorsqu’il s’agit d’une femme et ce dès le XVIIe siècle et jusqu’au Code civil napoléonien), soit le libraire. Lorsque le privilège est un privilège d’auteur, la présence du nom de l’auteur dans le texte juridique officiel est l’un des meilleurs indices d’attribution dont nous disposions. La séquence identifie précisément l’objet sur lequel porte le privilège. Il est important de noter que tous les privilèges ne sont pas spécifiques : certains privilèges généraux peuvent couvrir toutes les publications d’une instance, notamment des sièges épiscopaux, ou bien tout une classe d’ouvrages, par exemple les ouvrages de musique, mais il s’agit ici de cas particuliers sur lesquels je ne m’étendrai pas.

Exemption de la liberté publique d’imprimer. [A CES CAUSES… dans trois mois de la date d’icelles;] C’est la partie du privilège qui concerne la propriété de l’ouvrage et confère à l’exposant un droit d’exploitation monopolistique. La durée de ce droit varie considérablement dans le temps mais elle est toujours, au moins en théorie, limitée, même si les pratiques de librairie entrainent de facto l’usage de privilèges perpétuels, abolis l’année suivante, par les arrêts d’août 1777. Cette séquence d’exemption accumule les restrictions et repose sur les codes de la librairie : elle porte à la fois sur la production et l’importation. Certaines restrictions, comme « autres personnes de quelque qualité & condition qu’elles soient » renvoient à des imprécisions du code de la librairie et à un flottement des pratiques. Théoriquement, seuls les libraires reçus maîtres au sein de la Communauté des libraires parisiens sont susceptibles d’écouler une marchandise de librairie, sauf libraires provinciaux (mais le cas est complexe). Or, certains auteurs entendent exercer ce droit, notamment en se fondant sur leurs propres privilèges d’auteur. Le commerce du livre par les auteurs est une zone grise de la législation de la librairie au XVIIIe et certains auteurs, comme Luneau de Boisjermain, exploitent l’imprécision du droit pour disputer le privilège de corporation dont jouissent les libraires et qui leur octroient, de longue date, la capacité exclusive de diffuser des livres à l’intérieur du Royaume. Il ne faut donc pas croire, malgré la précision du privilège, que celui-ci est pleinement efficace et qu’il couvre toutes les situations possibles, pas plus qu’il n’empêche, au demeurant, les impressions contrefaites.

Contrôle de la qualité matérielle. [que l’impression dudit Ouvrage… beaux caractères;] Cette brève séquence est héritée des débats du XVIIe, au moment où le développement de l’imprimerie et l’augmentation constante du nombre d’ateliers typographiques menaçait le monopole des premières familles de la profession et faisait décroître la qualité de la production. À cette époque, le pouvoir royal a imposé des critères de qualité matérielle dans la production du livre, une mesure courante dans le cadre des productions artisanales sous l’Ancien Régime. Le « beau papier » implique en théorie l’utilisation de papier français, authentifié par filigrane et timbré (c’est-à-dire taxé), ce qui est généralement le cas dans les imprimeries parisiennes, mais pas toujours dans les villes plus frontalières. Les « beaux caractères » sont les caractères métalliques utilisés pour la composition des formes qui sont ensuite enduites d’encre et pressées sur la feuille. Ces caractères ont tendance à s’user et à devenir moins lisibles avec le temps.

Procédures de dépôt et de reproduction. [que l’Impétrant se conformera… foi soit ajoutée comme à l’original] Cette longue séquence est celle qui a le plus évolué au cour du XVIIIe siècle. Après le rappel du code général de la Librairie qui soutient les différentes dispositions présentes, elle met en place une procédure de dépôt et une procédure de reproduction, toutes deux conçues pour soutenir le privilège, en plus de l’enregistrement. Or, si la procédure de reproduction, qui termine la séquence, et impose la reproduction du privilège sur chaque exemplaire du livre, est présente tout au long du siècle, les obligations de dépôt, elles, sont une invention plus tardive, mais appelée à une longue postérité, puisqu’elles sont toujours d’usage, sous des formes différentes, de nos jours. Ces procédures de dépôt sont l’un des témoignages d’un souci croissant quant à la constitution d’une archive des impressions à l’intérieur du royaume, avec la publication de bibliographies officielles annuelles. Le fonds de la Bibliothèque royale est bien sûr reversé, par la suite, à la Bibliothèque nationale, puis impériale, puis royale, puis nationale, puis impériale, puis nationale. Au-delà de l’archivage, ces dépôts ont pour fonction de permettre la collation éventuelle du texte diffusé avec le manuscrit soumis à l’approbation : certains imprimeurs indélicats se permettent en effet de contourner la censure en publiant un texte légèrement altéré au regard du manuscrit approuvé, et l’absence de dépôt a parfois rendu difficile la preuve de ces malversations.

Délégation de pouvoir à la police du livre. [COMMANDONS… tel est notre plaisir.] Cette séquence sert tout à la fois de conclusion extrêmement formulaire, je vais y revenir, et de délégation de pouvoir, dans la mesure où le roi consent à ce que la police du livre, représentée principalement par la Prévôté de Paris et les syndics de la Communauté des libraires, exercent une activité exécutive dans le cadre du privilège. Cette activité comprend notamment la visite des libraires suspects de contrefaçons, la saisie des ouvrages incriminés et la rédaction de procès-verbaux, qui sont eux susceptibles de faire l’objet de contestations. La seconde partie de la séquence, à partir de « nonobstant », porte des précautions presque purement formulaires, dans la mesure où la Charte aux Normands est sortie d’usage au XVIIe siècle, pour être finalement abrogée par Louis XIV, dans un souci d’unité administrative et où, de la même façon, le clameur de haro est un particularisme juridique, toujours normand. Il s’agit ici d’un bon exemple d’ostentation de la continuité monarchique, que j’évoquais plus haut.

Date et signature. La date remplie la même fonction que celle de l’approbation. Il peut paraître étonnant que le privilège porte une signature qui ne soit pas la signature royale, puisqu’il transcrit la parole royale à la première personne. En fait, cette signature alternative repose sur la distinction de la formule finale « le Roi en son Conseil » d’avec la formule « le Roi étant en son Conseil ». La première signale que le privilège a été examiné, accordé et signé par un conseiller en l’absence du roi, en vertu de la délégation de pouvoir royal dont jouit par définition le Conseil royal. Seuls les actes portant la seconde formule ont été visés par le roi lui-même. Cette signature-écran permet évidemment, dans les cas extrêmes, une rétractation du pouvoir royal.

L’enregistrement syndical

Ce paragraphe court qui ne varie jamais en format précise les volumes du registre de la Communauté dans lequel le privilège a été enregistré, afin de permettre la vérification en cas de contestation sur la durée, l’extension, la transmission ou l’objet du privilège. La signature du texte d’enregistrement est soit celle d’un syndic de la Communauté, c’est-à-dire de la plus haute autorité, soit celle de l’un des adjoints du syndic.


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